Bien qu’anecdotique et très local, l’épisode que je vais narrer témoigne bien du je-m’en-foutisme et de l’irrespect de certaines des règles de la circulation. Une attitude qui a soulevé une colère justifiée des habitants du quartier. Ire qui s’est matérialisée samedi dernier, de 19h à 23 heures et quelques, par le dressage de chaises et table au milieu du carrefour pour un «cocktail» à la fois inaugural et dissuasif. Inaugural pour marquer sympathiquement la fin des travaux routiers le long de ce quartier et dissuasif vis-à-vis des automobilistes et autres véhicules «forceurs» de barrage. On en a refoulé plusieurs, alors que d’autres, voyant cette «milice de quartier» improvisée, ont fait demi-tour aux barrières dûment munies du panneau «interdiction générale de circuler».
Depuis avril de l’an dernier, les riverains d’un tronçon de la Rue centrale, à L’Orient sont à la merci d’un remodelage de la route avec adjonction de trottoirs et autres travaux souterrains. Plus d’une année à subir diverses machines de chantier, bruit, poussière et feu rouge. On s’en est accommodés jusqu’à sérieusement sympathiser avec Fred (chef de chantier) et son équipe. Et, enfin, le jour de délivrance arrive. Samedi matin (le 8 juillet) les machines de goudronnage sont à l’œuvre depuis 7h (du matin) pour la pose de la couche finale d’enrobage. A midi, tout est terminé. Le bitume encore chaud est beau, brillant, lisse. On a bien sûr envie d’y circuler. Mais non! Tout le quartier respecte les consignes émises par la Commune du Chenit et l’entreprise de génie civil. «Fermeture de la route du 8 (dès 7h) au 9 (à 20h), Rue centrale 42 à 60, 41 à 51, et rue du Lac (Crêtets). Merci de prévoir le parcage de vos véhicules au parking de la passerelle (Rue de Lac) et parking de D-Tech (anciennement Valdar». Pas une voiture de ce secteur n’a bougé du samedi. On a fait nos commis vendredi, on s’est organisés pour que tout roule (façon de parler) au mieux.
Barrières contournées
Donc, samedi, dès midi, la route est fine prête et se repose sous un soleil dardant. Elle a bien le temps de sécher et durcir puisque, en principe, les premiers usagers ne pourront y circuler que le lendemain dès 8h (info délivrée par Faceboock samedi en fin d’après-midi). Pense-te-voir! A peine une heure après la fin des travaux, voila-t-y pas que, vraoum, une voiture passe. Une deuxième, puis une troisième, une… cinquantième et ainsi de suite (on a arrêté de compter), dans un sens ou dans l’autre. Sans oublier les motos, les scooters et autres machines à deux roues qu’on appelle vélos. Rien à cirer des «Vauban» (qu’ils ou elles ont tirées de côté, ou contournées sur le bas-côté de la chaussée), pas plus que du panneau d’interdiction. On en a refoulé une poignée, mais on n’avait pas que ça à faire un samedi après-midi. Et c’est ainsi qu’en début de soirée s’est improvisée cette «milice de quartier».
Cette péripétie est certes mineure. Mais n’est-elle pas révélatrice d’une mentalité qui se généralise, d’un individualisme exécrable qui fait fi de toute règle? Cette attitude qui idolâtre le «moi» et méprise tout le reste. Depuis que la désobéissance civile est érigée en dogme, une frange d’individus s’en inspire jusqu’à son application dans quelque domaine que ce soit. Leur mode de pensée relève d’un égoïsme paroxystique. Le vandalisme perpétré par certains groupuscules n’est plus du vandalisme, mais un acte courageux qui fait front au système. Asperger un tableau de maître n’est pas répréhensible puisqu’il dénonce le système. Et le passage en force de notre route va dans le même ordre d’idée puisque l’acte relève de l’irrévérence des règles élémentaires desquelles on se fiche royalement.
Volé notre route
Il y a plus d’un siècle, un paysan du Campe (entre L’Orient et Le Brassus) avait superbement synthétisé sa manière d’être par une phrase qui est presque un dicton: «j’ai fait mes foins, y peut pleuvoir, merde pour les autres (avec l’accent local, ça donnait: J’ain fait més foins, y peut pleu’oir, mèèèrde pou’ les zôôôtres!». Etait-il un individualiste? Original, plutôt. Et sa formule centenaire et lapidaire se transpose magnifiquement bien dans l’idéologie d’aujourd’hui: «je fais ce que je veux, où je veux, quand je veux et m’en fous des autres».
Quoi qu’il en soit, ces automobilistes et autres conducteurs d’engins à roues ont volé notre route, l’ont souillée des miasmes de l’irrespect. Cette chaussée qu’on attendait depuis une quinzaine de mois, celle-là même dont on pensait être les premiers utilisateurs puisqu’à nos portes.
A (toute petite) décharge des tricheurs, relevons une signalisation minimaliste à l’autre bout de La Vallée. Un disque «interdiction générale de circuler dans 8 km» (à peine visible) et deux panneaux de déviation orange au milieu de L’Abbaye. Et c’est tout. En revanche, les contrevenants arrivant du Brassus, du Sentier ou des Crêtets n’ont pas d’excuse: la commune du Chenit avait dûment signalé les interdictions aux quatre entrées du village. Et alors…
Jean-François Aubert