Ce pays d’Asie centrale, détaché de l’ancienne URSS, m’avait toujours attiré. Sa capitale Tachkent sonnait bien à mes oreilles comme Boukhara ou Khiva. Et j’avais lu avec passion « Samarcande » d’Amine Maalouf sans oublier de me replonger dans l’épopée d’Alexandre le Grand qui arriva dans ces terres si éloignées de sa Macédoine natale après de multiples conquêtes. Et il y avait la mythique route de la soie ou tout au moins l’une d’entre elles puisque des tracés passaient aussi plus au sud dans l’actuel Iran. Tout ceci avait aiguisé ma curiosité.
La population
35 millions d’habitants vivent sur une surface plus ou moins égale aux deux tiers de celle de la France mais sont essentiellement répartis dans les zones arrosées par deux fleuves prenant leurs sources dans les montagnes du Pamir. Quant au reste du pays, ce ne sont que de monotones steppes arides. Les caravansérails, haltes fortifiées sur l’ancienne route de la soie pour le ravitaillement des hommes et des chameaux, ont été effacés par les sables. Que dire des Ouzbeks ? Ils sont accueillants, sympathiques, fiers de leur passé. A mon premier soir dans un jardin de Tachkent, je fus plusieurs fois questionné par des étudiantes quant à mes premières impressions. Aucune méfiance alors que quelques-unes portaient le hijab, le foulard islamique. Tachkent et ses larges avenues est très propre et il ne viendrait pas à l’idée d’un « artiste de rue » de laisser son empreinte sur une façade comme à des jeunes gens d’arborer des tatouages. En terre d’Islam, ce serait haram (péché), même si le nombre de pratiquants n’excède pas les dix pour cent de la population.
Les rites
Pour les garçons d’un, trois ou cinq ans, la circoncision est une étape importante de sa vie. Elle donne souvent lieu à une fête avec un cortège de parents et amis accompagnant un petit prince tout de blanc vêtu portant un turban, symbole de pureté. Si l’opération était autrefois réalisée par le barbier du coin, elle se pratique désormais en clinique. Mais de tous les rites, c’est le mariage qui marque à tout jamais l’existence. Si dans les centres urbains des idylles se nouent sans qu’il ne soit arrangé, il n’en est pas de même pour la majeure partie des jeunes gens. C’est à la famille du jeune homme de prendre les devants. Une liste est dressée, longuement étudiée. Le père se rendra au domicile de la promise en déclarant qu’il recherche une belle fleur car son rossignol ne chante plus. On est poète ou on ne l’est pas ! La famille de la fille se dit honorée mais ne donne pas tout de suite son accord. Entre en scène un Komintern formé de la maman, des tantes, sœurs et cousines : elles forment un bureau de renseignements efficace, digne de l’ancien KGB. Les téléphones chauffent afin de savoir si le prétendant est bien celui qui fut décrit, c’est-à-dire bien élevé, travailleur et en bonne santé, donc digne de confiance. Gare aux mésalliances ! Après quelques visites toujours ritualisées, l’accord est conclu et les promis font connaissance. Il appartient à la future épouse de servir solennellement le thé vert, la boisson nationale. Une salle doit être réservée bien à l’avance car le mariage n’est pas destiné à un nombre restreint de personnes. « Venez nombreux » dit l’invitation : les convives se retrouvent à cinq cents ! Le plov, plat national, est servi tôt le matin puis les mariés vont se faire photographier devant un monument. A Samarcande, j’ai compté treize couples se tenant droits comme des i. Les réjouissances se terminent le soir par un banquet très éloigné de l’islam rigoriste wahhabite. Les femmes dansent, vin et vodka sont généreusement servis et les enfants déambulent tout étourdis par la fête : petites filles aux souliers vernis, bas blancs, robes pailletées avec des fleurs dans les cheveux et garçons en costume trois pièces et nœud papillon. Le mariage arrangé peut surprendre les Occidentaux mais il prévaut dans de nombreux pays.
J’en avais souvent été témoin au Moyen-Orient et il prend son sens dans un besoin de sécurité économique. La personne seule ou la famille nucléaire (parents et enfants) ne sont rien car trop faibles pour faire face aux aléas de la vie. Un mariage s’inscrit dans une alliance élargie sur laquelle on pourra compter. Le travail des champs ou la construction d’une maison se font par l’union des forces ce que j’ai pu voir tout au long de ce voyage. Si les grands-parents doivent veiller sur les tout-petits en l’absence de garderies, charge à leurs enfants de prendre soin d’eux car l’EMS ne fait pas partie du décor. Et une famille se verrait déshonorée de ne pas s’occuper de ses aïeux.
Jean-Yves Grognuz,
2 novembre 2023