En ce début de printemps austral, Chamade a repris la mer, cap au sud vers les canaux de Patagonie et le Cap Horn. Une navigation qui promet d’être grandiose mais rude dans cette région balayée par les tempêtes. Filer vers le Horn, l’Everest des marins, une fin en apothéose pour Sylvie et Marc, puisqu’il s’agira de leur dernier voyage à bord de Chamade, leur fidèle compagnon de voyage depuis 18 ans.

Après 3 jours de tempête et de pluie, un soleil éclatant est revenu sur Puerto Montt au matin du 31 octobre. Après dix jours de préparatifs, l’émotion est grande au moment de pointer l’étrave vers le Grand Sud. Car il ne s’agit pas pour nous du simple début d’une nouvelle saison de navigation, mais de la dernière de nos 18 années d’aventures océaniques. Nous avons en effet décidé il y a quelques mois de tourner la page : Chamade changera de propriétaires au Cap Horn !
Une décision née de la rencontre aux Marquises d’un jeune couple de navigateurs suisses, Amanda Landon et Robin Kislig. A bord de leur voilier Morgane, ils avaient déjà sérieusement bourlingué depuis 6 années, mais rêvaient d’un bateau plus grand. Tombés amoureux de Chamade, ils nous avaient proposé de le racheter si nous souhaitions nous en séparer. Pour nous qui préparions la grande navigation vers le Cap Horn, ce n’était vraiment pas d’actualité… Mais l’idée avait peu à peu germé et c’est ainsi que ce matin, nous sommes quatre à bord pour relever le défi du Grand Sud. Une dernière aventure pour nous, une première à bord de Chamade pour Amanda et Robin. Notre objectif commun : parcourir les mythiques canaux de Patagonie, un dédale sauvage et quasi inhabité, balayé par les vents tempétueux des dépressions qui se succèdent aux confins du Horn. 3 mois de navigation dans une nature « brut de brut », isolée, austère mais tellement fascinante.
Puis le Horn franchi, si les conditions le permettent, nous espérons encore gagner les îles Malouines (ou Falkland), autre terre du vent, autre terre austère et fascinante.
Là, nous passerons le témoin à Amanda et Robin qui repartiront lentement vers le Pacifique, alors que nous rentrerons vers La Vallée et vers de nouvelles aventures, bien différentes, qui germent déjà dans notre esprit.
Mais le Horn est encore loin ! Pour l’heure il s’agit de peaufiner Chamade, de terminer les préparatifs et de ne rien oublier ! Dans quelques semaines l’isolement sera total. Pour cette dernière aventure, comme pour celles vécues dans le Grand Nord, il faudra être autonome.
Alors rien de tel qu’un galop d’essai au cœur de l’archipel de Chiloé, du nom de cette île grande comme deux fois le canton de Vaud, posée face à l’océan, à 1000 kilomètres au sud de Santiago.
Il y a quelque chose de La Vallée dans l’aspect de cette région, même si le lac de Joux ne saurait rivaliser avec la mer ici omniprésente. Mais le relief vallonné, les pâturages, les vaches et les chevaux et le climat frais et pluvieux ne dépayseraient pas un Combier. Avec, dans ce paysage champêtre, une industrie qui est à Chiloé ce que l’horlogerie est à La Vallée : l’aquaculture.
Le saumon et les moules enrichissent depuis quelques dizaines d’années une île qui semblait avoir été oubliée des dieux. Pas une baie, pas une anse, pas un canal qui ne soit couvert d’installations : partout ces grandes cages pour l’élevage du saumon, partout des kilomètres de bouées alignées, supportant les élevages de la moule bleue du Chili. Seule la pêche est en perte de vitesse, l’aquaculture ayant siphonné les emplois, les pêcheurs y trouvant des conditions de travail bien moins dures et plus proches de leur famille.
Pour avoir connu (un peu) Chiloé il y a trente ans, le changement et l’amélioration du niveau de vie sont spectaculaires.
Pas sûr par contre que la nature trouve son compte dans ce boom et cette course au rendement. L’utilisation d’antibiotiques est massive dans l’élevage des saumons (5 à 6 fois plus qu’en Norvège !) et le débat entre la « nécessité économique » à court terme et la sauvegarde de la biodiversité à long terme n’est guère différent de celui qui agite la Suisse en général et La Vallée en particulier.
Reste que ce midi, en sortant du Traviesa, un petit restaurant de Castro, comblés et rassasiés d’un curanto al hoyo (moules, coques, saucisses et merlu) ou d’un cancato (sorte de gratin de poisson et moules) nous nous sentons prêts à affronter la solitude du Grand Sud. On vous la racontera lorsque les liaisons internet ou satellitaires nous le permettront.
Par Sylvie Cohen et Marc Decrey
