La décoration horlogère haut de gamme est un art développé à la Vallée de Joux depuis plus de deux siècles. L’infiniment petit et la recherche esthétique poussée à l’extrême, constituent l’art méconnu des finitions horlogères au cœur même de la montre. Parce qu’il faut que cela soit «aussi beau à l’intérieur qu’à l’extérieur». *
« Aussi beau à l’intérieur qu’à l’extérieur »
Un patrimoine combier
Une montre haut de gamme demande un temps de réalisation au-dessus de la norme. Au-delà de la complexité et de la fiabilité des techniques, c’est le degré de finition qui fait la différence. Pour juger de la perfection d’une montre, il faut prendre en considération le soin apporté au moindre détail. Celui que l’on voit et surtout celui que l’on ne voit pas. C’est ce que s’emploient à faire les horlogers combiers depuis plus de deux cents ans, quand l’hiver et l’impossibilité de s’occuper de la terre se manifestaient alors, et toute l’année de nos jours. Un travail minutieux, fait traditionnellement à la main, à l’aide d’une loupe.
Une discipline aux pratiques quasi identiques depuis ses origines, si bien que l’on pourrait ne pas savoir distinguer une montre décorée en 1880 d’une autre en 2021. Des pratiques identiques mais pas immuables, la décoration horlogère s’est aujourd’hui tournée vers le semi-automatique, même si l’art manuel est naturellement privilégié et valorisé. Les opérations de finitions et de décorations prennent la main une fois les usinages fonctionnels achevés.
Dans le haut de gamme, de multiples surfaces sont reprises, corrigées et décorées. Ces opérations sont réalisées à la main avec des outils traditionnels tels que limes, cabrons, pierres, brunissoirs et tourets à polir. De ce travail artisanal résultent des surfaces polies, satinées, étirées, brouillées, guillochées. Certaines sont particulièrement déterminantes au regard de la qualité: celles qui distinguent le haut de gamme et que l’œil de l’expert saura reconnaître, en identifiant la technique d’exécution utilisée. **

Des artisans aux mains d’or
Ces artisans font l’orgueil d’un des nombreux savoir-faire traditionnels combiers. Parmi les techniques: l’anglage. Ce travail minutieux, fait à la main, qui consiste à souligner le pourtour des pièces de traits lumineux, fait office de label de haut de gamme quand il est mené à la perfection. Son authenticité se voit à la netteté des coins rentrants et sortants, ce qu’une machine ne parvient pas à produire à ce jour.
Emilien Reverchon, la trentaine, Combier d’origine, s’est lancé dans l’aventure en indépendant il y a à peine un an en créant DHVJ-Reverchon. Il s’emploie à perpétuer cet art, appris sur le tas, seul dans son atelier, avec son employé. Après 15 années d’expérience, de professionnalisation, d’approfondissement des techniques, le tout uniquement dans le haut de gamme, il maîtrise aujourd’hui tous les métiers de la décoration, même s’il en «apprend tous les jours». Il est en mesure de proposer deux styles de décoration: le très haut de gamme traditionnel -gravure main, anglage- et le semi-industriel pour des quantités à taille humaine -sablage, côtes de Genève, cerclage, perlage, martelage, dressage, etc. Ses volumes évoluent en fonction de la demande des clients, il annonce travailler sur une trentaine de montres chaque mois.
Ce sont des velléités d’indépendance que tous les sous-traitants combiers en décoration horlogère ont en commun. En 2015, trois amis créent Transcendance Sàrl, spécialisée dans l’anglage. Lassés de ne pouvoir travailler leur art comme ils l’entendent, ils lancent leur entreprise, qui compte aujourd’hui neuf employés et tourne à plein régime. «C’était le bon moment, confient Nuno Sousa et Rémy Lacoste, il y avait un réel besoin de travail manuel dans la décoration. Au début, tu toques aux portes des clients qui te confient deux ou trois pièces à l’essai et toi tu fais tes preuves. Les clients sont satisfaits et on ne pensait pas se développer autant, aussi rapidement.
Aujourd’hui on se développe toujours, on est assis sur la durée. Cela est dû à notre écoute attentive des besoins des clients, de la confiance qu’ils nous portent et surtout de la qualité du travail fourni. On a encore le désir de se développer davantage, car si la fabrication d’une montre est décomposée de A à Z, nous, à l’heure actuelle, on est capable de faire de D à H. On fait une partie des opérations et notre but est de compléter notre service afin de ne pas louper certains mandats, pour cela nous avons des partenaires qui nous permettront à terme de proposer un service plus complet. On est en développement continu, on forme nos employés au fur et à mesure des demandes des clients et des volumes demandés. Le tout reste à taille humaine car nous sommes positionnés dans le très haut de gamme».

Haute qualité du travail
C’est le mot d’ordre des sous-traitants combiers en matière de décoration horlogère. Tous ou presque ne travaillent que pour le très haut de gamme: l’exigence et la qualité des produits sont décuplés. Pasko Cart, sous-traitant à son compte depuis 2017, travaille actuellement avec 5 employés. Une petite structure voulue tant il a l’indépendance et ses valeurs chevillées au corps. «Il faut remettre la qualité du travail en avant. Cela demande une grande implication mais également une grande application des artisans. Cela doit être respecté à la fois par les clients mais aussi par mes confrères. Je mise sur le zéro retour, c’est ce qui fait que je contrôle personnellement la qualité des produits qui sortent d’ici. On fait de l’Art, on est dans l’esthétique, c’est notre plus grosse plus-value: la décoration est ce qui coûte le plus cher. Tout est fait à la main, et quelques pièces sont faites en semi-automatique, je ne fais pas de presse-bouton.
Nous avons le projet avec Bryan Gosparini (SwissKH) de remettre au goût du jour une machine de décoration datant de la fin du 18e siècle. Pour avoir une équipe, j’ai pris des gens que j’ai formés… je veux des gens qui aiment leur travail, qui aiment repousser leurs limites et sortir de leur zone de confort. Je suis bien conscient que je suis dans une niche qui me permet d’être tranquille, la quantité de travail me permet d’avoir l’équivalent de cinq plein-temps. L’ouvrage est là, la qualité l’est également, j’y suis très attentif.»
Chez Watch Déco, entreprise d’une trentaine d’employés, même mot d’ordre, même si les volumes sont un peu plus élevés. Créée en 2007 par Stéphane et Sébastien Vagne, deux passionnés par l’horlogerie, ils sont mués par une évidence: le besoin de mettre leur savoir-faire à la disposition des plus grands de ce nom. Un seul mot d’ordre pour rester en phase avec sa politique: le respect des traditions et des valeurs ancestrales horlogères. La société rachète Prodécor, spécialisée dans la décoration haut de gamme anglage lime. A elles deux, elles comptent une trentaine d’employés, eux aussi formés par leurs soins pour respecter leurs objectifs de perfection. Un fort besoin d’outillage se fait sentir, et les deux frères rachètent en 2017 la société Missimy Berney. Watch Déco devient en 2018 une filiale du Tec Group, ce qui leur permet de fournir un service complet et gagner ainsi des mandats.
«Le travail reste essentiellement artisanal, mais nous avons des machines pour faire du volume quand il y a besoin, indique Sébastien Vagne, pour l’entrée de gamme. On peut tout faire, de A à Z, grâce à nos compétences et à nos années d’expérience dans ce domaine. On peut nous commander une pièce sur plan et on fait tout: on la fabrique, la développe, la décore et on finit par la galvanoplastie. On essaie de devenir encore plus indépendants et si on ne peut pas faire, on sous-traite ailleurs, le tout pour le confort du client et le nôtre également, car s’il y avait un souci, on sait que cela vient de nous. Chez nous le client est roi.»

* François-Henry Bennahmias, CEO Audemars Piguet.
** Extraits de Finitions et décorations horlogères haut de gamme, Caroline Sermier et Guilo Papi, Audemars