L’arrivée de la neige réjouit François Schneeberger, l’un des employés de la voirie du Chenit chargé du déblaiement. Pour ce faire, il se lève ces jours au beau milieu de la nuit. Portrait d’un enfant typique du Brassus.
Nonante kilomètres. C’est la longueur d’une « tournée » effectuée chaque nuit sur la commune du Chenit, par François Schneeberger au volant de son camion, du Rocheray jusqu’à la gravière du Brassus. Parfois également le soir en rebelote.
Avec ses collègues de la voirie, il y a bien eu une première sortie – sans lendemain, juste après Noël. Puis les champs sont redevenus verts, à cause de cet hiver doux et pluvieux dont les météorologues nous ont avertis qu’il deviendrait de plus en plus fréquent. Puis il y a dix jours, un fort courant d’ouest a amené le froid et la neige. Nos hauteurs ont enfin retrouvé leurs couleurs hivernales – et la voirie ses journées « de boulanger », car entamées entre deux et trois heures du matin. Dur ? Mais c’est précisément ce que François Schneeberger aime. « On n’attendait que ça ! » s’exclame-t-il même.
Seul au monde
« La nuit, raconte-t-il, tu es seul au monde, c’est ce qui me plaît, tu fais ton job, tu es tranquille, c’est bonnard. C’est jamais la même chose d’un jour à l’autre, d’une météo à l’autre et puis, il y a tellement à regarder que je ne m’ennuie jamais. » Déblayer la neige n’est pas un travail routinier qui nécessiterait la radio, même si François Schneeberger la branche. « C’est vraiment une attention permanente, une main sur le volant, une autre sur le joystick de la lame: il faut veiller à ne pas encombrer la sortie des immeubles, à ne pas trop saler les croisements, à ne pas se faire tirer par la lame quand la neige est trop lourde, etc. Et on s’adapte à la neige. Il faut rouler doucement quand elle est mouillée, sinon tu arroses tout. Quand elle est légère et qu’elle vole, tu peux “envoyer” plus facilement avec les gaz. »
Bal coordonné
Avec son collègue Nicolas Bianchi, François Schneeberger est le premier à sortir déneiger. Mais pas à se réveiller. C’est le chef d’équipe, Emmanuel Franchini, qui lance la troupe. Les chauffeurs de l’AVJ qui dégagent les grands axes sur mandat du canton entrent eux aussi en scène. Les trax sortent seulement en cas de grosse neige ; ils sont alertés à leur tour. Derrière ces « ouvreurs », les collègues de François Schneeberger passent ensuite nettoyer les trottoirs qui ont été recouverts. Quand la neige est abondante, qu’il y a trop de « revons » au bord de la route (des remblais de neige, connaissiez-vous ce terme ?), les fraises partent ensuite.
La pause, c’est vers six heures du matin. « Là, où commence le bal des frontaliers. On ne peut plus travailler. »
Douze jours non-stop
La pénibilité, le manque de sommeil ? François Schneeberger n’en fait pas cas. Il se réjouit de travailler au sein d’une équipe soudée, où chacun sait ce qu’il a à faire. Et ces journées de déneigement restent propres à la saison hivernale qui se réduit toujours plus. N’empêche, il se souvient qu’en 2015, à cause de la bise, les déneigeuses avaient tourné douze jours de suite sans interruption, au risque de se mettre en délicatesse avec l’OTR (l’ordonnance pour les chauffeurs poids lourds), mais voilà : « Le déneigement, que veux-tu ? C’est à part. On ne pouvait pas laisser la chaussée comme ça. »
Automobilistes présomptueux
On ne résiste pas à lui demander quelques anecdotes au sujet de ces heures solitaires. En riant, François Schneeberger cite « de grands pilotes », comprenez des amateurs de dérapages dans la neige qui finissent embourbés dans le talus ou sur l’un ou l’autre parking ; il retrouve périodiquement leurs véhicules laissés sur place. Ou « ces conducteurs qui veulent absolument rouler dans les gonfles » (congères) et qui eux, aussi, se retrouvent coincés. Et bien sûr, toute une faune – cerfs, chevreuils, renards, blaireaux – qui agrémentent encore ces moments rien qu’à lui.
Une carrière en alternance
Le permis de camion, François Schneeberger l’a acquis seulement au milieu de la vingtaine, après un apprentissage et un début de carrière dans la menuiserie. Surprenant pour quelqu’un qui avait grandi au milieu des moteurs et même baigné dans l’huile – dans le garage familial (garage Simond du Brassus) ; mais son oncle l’avait dissuadé. L’hérédité l’a toutefois rattrapé quand il s’est engagé aux chemins de fer Pont-Brassus (actuel Travys).
La menuiserie, il y est revenu par la suite lorsque Cargo domicile a cessé ses activités à La Vallée. Puis, après vingt nouvelles années dans le bois et sur les commandes numériques, il a postulé en 2014 à la voirie du Chenit pour remonter dans ses chers camions – une activité qu’il entend poursuivre jusqu’à sa retraite.
Un vrai enfant du Brassus
Les quatre enfants de François Schneeberger, parmi eux deux bouchers mais encore aucun menuisier ni routier, ont quitté La Vallée.
Enfant du Brassus, il reste fidèle à son village, dont il est membre de l’exécutif. Avec ça et la voirie, ses semaines sont suffisamment remplies pour qu’il n’ait guère de temps pour d’autres loisirs, sinon un peu de pêche. La chorale du village ? Il y a chanté. Jadis.
Nous n’oublions pas que c’est grâce à de telles personnes qu’on roule confortablement l’hiver, à La Vallée. Pas comme en plaine, où les moyens publics sont moindres et les usagers de la route… souvent imprévisibles sur neige. Pensons-y la prochaine fois que nous croisons l’un ou l’autre de ces hommes en orange au volant de leur déneigeuse. Merci, les gars !
